Le potentiel thérapeutique de la relation de soin
par Mathilde Gros
En quoi et comment la relation au professionnel de santé peut-elle avoir un impact positif, soignant, notamment pour les patients atteints de maladie grave ?
La relation répond à des critères d’éthique si tous les protagonistes sont considérés comme sujets (cf. article précédent).
Sur le plan législatif, cette notion de patient sujet et acteur de sa santé est en lien direct avec la notion d’information : le médecin doit à la personne qu’il soigne une information honnête concernant sa santé, ce qui permet au patient de participer aux décisions médicales le concernant, mais aussi de donner sens à sa maladie en l’intégrant à sa vie et à son histoire de vie. C’est cette notion d’information et de vérité, comme participant à la construction du patient en tant que sujet, que je vais donc aborder dans un premier temps.
Une recherche qualitative menée au Québec en 2002 questionnait l’expérience vécue par les patients atteints de maladie grave en phase terminale. Cela permet d’entendre, de la bouche des patients, ce qu’est pour eux un soignant humain : « un soignant humain est celui qui parle clairement sans pour autant parler crûment. Cette différence subtile revêt une grande importance. On voit très bien ici que le soignant qui ne génère pas de souffrance, pour parler, prend le temps de s’asseoir, d’expliquer, de discuter, et ce, sans masquer la gravité de la situation » (Daneault, 2006, p. 59). Les patients souhaitent donc avoir avec leur soignant un dialogue honnête, au sein duquel la vérité n’est pas masquée, ni minimisée.
Mais que recèle cette notion de vérité ? Puisque l’on s’adresse à un patient en tant que sujet singulier, il est fort probable que la vérité de ce dernier ne corresponde pas à la vérité du soignant, ni même à la ‘réalité’ objective de sa situation médicale… Faut-t-il lui expliquer tout ce que nous savons, dans les moindres détails ?
Différents auteurs consultés donnent à voir l’importance d’une vérité pas à pas, respectant la singularité de chaque patient : son rythme, sa volonté et sa capacité à entendre. Ainsi, « respecter la personne malade, son humanité, son autonomie, consiste précisément à lui donner l’information dont elle a besoin pour rester pleinement sujet de sa vie sans aller au-delà par des informations dont le caractère pourrait être destructeur » (Schaerer cité par Jutard, 2001, p. 31). Il s’agit alors de délivrer une information respectueuse du rythme du patient, de là où il en est comme de là où il souhaite aller (ce qu’il demande à savoir). L’information délivrée devrait permettre au patient de se repérer, de comprendre sa maladie, ce qui lui arrive, ce qu’on lui propose comme traitement. Elle n’a pas besoin d’être exhaustive pour lui apporter des repères. Elle sert également d’ouverture à un dialogue honnête entre soignant et patient. La relation présente alors un fort aspect interactif et dynamique : au sein de celle-ci, chacun est acteur, et en aucun cas passif. A mon sens, il y a là à la fois la possibilité pour le soignant de favoriser chez le patient une posture de sujet au sein de sa vie (par l’appropriation d’information concernant sa santé), mais aussi une posture de sujet au sein même de la relation. Par un effet de réciprocité, quand le patient se positionne activement et s’exprime dans toute sa singularité, il offre alors au soignant l’opportunité de renforcer et d’explorer plus avant sa propre dimension de sujet. En effet, le soignant a l’opportunité de s’ouvrir à la singularité d’autrui, de reconnaître les besoins spécifiques de son patient, de s’y adapter. Le soignant n’est plus dans une posture figée de toute puissance, il peut devenir un sujet qui apprend de l’autre au sein de la relation, qui est capable de reconnaître et de corriger ses propres erreurs… L’intersubjectivité à l’œuvre dans la relation médecin – malade apparaît alors.
Points clés : Dans une démarche éthique, le médecin informe le patient pour que celui-ci reste sujet de sa vie. Il s’agit de dévoiler une vérité pas à pas, cela demande au soignant de s’ouvrir à la singularité du patient (ses rythmes, ses besoins en terme de repères). Le patient est sujet et acteur au sein de cette démarche puisque c’est en exprimant sa singularité qu’il peut guider le soignant. Le soignant est lui aussi sujet et acteur, sa part active consiste à favoriser l’émergence de la singularité de son patient, la repérer et la respecter en s’y adaptant.
Toute pratique de soin est double, comprenant à la fois une démarche biomédicale basée sur des données objectives, et un accompagnement du patient en ce qu’il est un sujet singulier, demandant au soignant de s’ouvrir à la subjectivité de ce dernier. En ce qui concerne la maladie grave, l’expérience vécue est empreinte de souffrance, d’angoisse, que le professionnel doit accueillir.
Le terme ‘authenticité’ revient fréquemment pour décrire une caractéristique importante de la relation soignante. Cela permet d’aborder la notion de vérité sous une autre facette : non pas comme vérité de l’information, mais comme caractéristique du soignant : un soignant ‘vrai’, c’est-à-dire profondément lui-même. On retrouve ici la notion de singularité et de subjectivité du soignant. Ainsi, l’authenticité peut être définie comme le fait d’être « profondément soi-même dans le comportement verbal comme non verbal et dans une relation humaine empreinte de sincérité. Cette authenticité ne s’acquiert pas aisément, elle demande un long travail de l’aidant sur lui-même pour arriver au maximum d’harmonie entre ce qu’il sent, ce qu’il pense et ce qu’il exprime » (Nectoux et al., 2009, p. 185).
Par un travail de congruence entre son ressenti, ses pensées et ses actions, le soignant est ainsi invité à instaurer une authenticité vis-à-vis de lui même, et de son patient. Comme le précise Goldenberg (1991) : « la perception par le patient de l’authenticité de la relation de soin a des vertus immédiatement thérapeutiques, c’est-à-dire susceptibles de faire reculer l’angoisse et le cortège de souffrances psychiques induites. Cette authenticité permet que s’expriment aussi bien l’attachement que les sentiments négatifs. Elle créé un espace de liberté relative où tout le monde se retrouve et où l’angoisse a sa place, mais aussi l’agressivité, la dépression et tous les sentiments négatifs qui ont besoin d’être élaborés » (p. 20). Grâce à l’authenticité de la relation, à la présence entière du soignant dans sa singularité, le patient se sent libre de s’exprimer, quel que soit le contenu de cette expression : le patient est accueilli, entendu dans son entièreté, dans sa singularité. Cette expression permet une diminution des souffrances ressenties.
En cas de maladie grave, ce qui est exprimé est souvent difficile à entendre : la souffrance non seulement physique mais psychique, émotionnelle, spirituelle et sociale ; la peur de mourir, la détresse à l’idée de laisser ceux que l’on aime… L’enjeu pour le soignant est alors de maintenir son authenticité devant l’expression de ces ‘sentiments négatifs’, et de pouvoir les accueillir.
Terminons maintenant notre exploration de l’authenticité et de ses effets. Si celle-ci permet de diminuer ou relativiser la souffrance en créant un espace d’expression, Goldenberg évoque aussi une dimension plus temporelle de la présence authentique : elle permet d’entrer dans un temps d’élaboration des pensées et des sentiments en lien avec la maladie. « La présence de l’autre, la présence à l’autre, fournit une sorte d’étai, de point d’appui qui permet à de véritables changements psychiques de survenir. Un travail d’élaboration psychologique, dernier travail positif commence, alors que la mort approche. Pour qu’il prenne toute son ampleur, il faut qu’un passeur soit là qui accompagne » (Goldengerg, 1991, p. 15). L’auteur précise que ce travail psychique est valable pour tous les protagonistes de la relation : le patient comme le soignant, mais aussi les proches…
La relation soignant – soigné recèle ainsi un potentiel de soulagement des souffrances, d’apprentissage et de transformation, de croissance, pour toutes les personnes impliquées, patient comme soignant. Le rôle du soignant n’est pas seulement la mise en œuvre de compétences techniques, de connaissances scientifiques, mais bien aussi le déploiement d’une qualité relationnelle facilitant le travail d’élaboration psychique de chacun. Le soignant apparaît donc ici aussi comme un sujet en croissance et en transformation, au même titre que le patient.
Je souhaiterais pour conclure revenir à quelque chose de très concret, car la relation se tisse au travers de la communication, verbale et non verbale, faite de choses concrètes et simples. Je vais laisser la parole à Céline, une patiente en fin de vie interviewée par l’équipe de Daneault, qui décrit ce dont elle a besoin dans sa relation avec les soignants.
Céline a besoin de « deux minutes de plus d’écoute mais intenses. Ce n’est pas la longueur, c’est l’intensité de la personne qui nous fait comprendre qu’elle comprend notre souffrance. C’est une phrase, quelques mots, des fois même, c’est juste un geste. Juste te prendre la main, la taper, ou l’épaule, avec le regard franc, juste ça. La personne repart, pis là tu fais : ‘ouf, j’ai été compris, comme ça fait du bien…’ » (in Daneault, 2006, p. 67).
Nous avons dans ces deux minutes décrites par Céline tous les éléments vitaux de la manière d’être du soignant : une présence intense, une sincérité, une congruence entre les mots, le regard et la parole, qui permettent au patient de se sentir compris, écouté. De ‘ne pas nuire’ le soignant passe à ‘faire du bien’.
Bibliographie :
Daneault S. (2006) Souffrance et médecine. Québec : Presses Universitaires du Québec.
Goldenberg E., (1991). Mort, angoisse et communication. Bulletin de la fédération JALMALV, n° 24 : Communication et accompagnement : 1ère partie : communication avec le malade en fin de vie.
Jutard C. (2001). Les difficultés de l’annonce d’une maladie grave et incurable : enquête auprès de 30 médecins généralistes. Th. Méd : Lyon I ; Lyon-Nord : p. 146
Nectoux M., Bernard M.-F., Guillaume O., Delorme A. (2009). La relation d’aide. In Jacquemin D., De Brouker D. (coord.). Manuel de Soins Palliatifs, 3ème édition. Paris : Dunod